[01.01.**], [00h05]

Cette journée m’est marquante. Je m’en souviens encore comme si c’était hier. C’est là, c’est là que j’ai compris qui était Philastère. Pourquoi cela me chamboule-t-il tant ? Je ne le sais pas. Et je ne le saurai sans doute jamais. Pourtant, je ne cesse d’y penser. Un souvenir qui est ancré au plus profond de ma mémoire, lié, enraciné. Et à ce moment-là, je compris qu’une germe venait de pousser…

C’était le premier jour du nouvel an. Athanor m’avait confié mon nouvel Essayel. Ah ! J’oublie de vous expliquer quel est le rôle d’un Essayel. Il a pour seul but d’être un être d’essai. Laissez-moi m’expliquer. Un être d’essai est un mortel à l’apparence humaine, il est voué à l’expérimentation existentielle. C’est ainsi que les Essayels vivent et meurent, seuls, sans convictions ni âme. De vulgaires patients, tous malades. Tous sont envoyés vers le long et pénible tunnel de la mort. Leur propre conscience est détruite, il n’en reste que d’infimes morceaux. Telle est la vie que se doivent de subir les Essayels.

Je comprends que vous puissiez être révoltés, déchaînés à l’écoute de ces mots. Mais comprenez bien que cela est nécessaire, je vous l’assure. Aucun des Essayels ne s’est déjà rendu compte qu’il n’était qu’un cobaye, et même si l’un d’eux l’apprenait, il n’en dirait rien. Ce ne sont que des êtres purement simulacres, cachant leur réelle nature…

Seulement, avec Philastère, l’histoire semble différente… Il est d’une innocence à toute épreuve et est d’une futilité effroyable, certes. Mais lorsqu’au fil des années, je l’ai vu grandir, vivre, jouer… j’ai eu l’occasion d’entrevoir une touche de tristesse dans ses yeux de la couleur de la mer. Comme si, après que sa conscience fut détruite en des milliers de morceaux distincts, certains de ses morceaux continuaient à briller éperdument. Ils étaient semblables à des bougies restant allumées pour l’éternité.

Un soir de pleine lune, Philastère marchait à son habitude dans les rues de sa ville. Son pas n’était pas très rapide mais il n’était pas lent pour autant. Et c’est ici, dans une grande place près d’un parc fleuri, que je vis quelque chose que je croyais irréel. Philastère me tourna le dos, et je vis des larmes couler, beaucoup de larmes, une pluie de larmes. Il pleura avec tant de volonté, que je pris peur et recula. Puis, Philastère se retourna vers moi et me regarda, droit dans les yeux. Je crus être transpercé d’une flèche en plein œil quand je vis ce regard rempli de tristesse. Comme si Philastère me voyait réellement pour la première fois.

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